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Cet appel à contributions concerne le prochain ouvrage collectif des Presses de Rhizome, intitulé – provisoirement – « Travail social et santé mentale » et coordonné par Nicolas Chambon (Orspere-Samdarra, Université Lumière Lyon 2, Centre Max Weber, Institut Convergences Migration), Aziliz Le Callonnec (Orspere-Samdarra, Université Lumière Lyon 2, Centre Max Weber) et Bertrand Ravon (Université Lumière Lyon 2, Centre Max Weber).
Argumentaire
Dans la continuité du travail de réflexion engagé par l’Observatoire ces dernières années (voir Rhizome n°69-70 « Soigner le traumatisme ? », Rhizome n°79 « Les visages de l’écoute », Cahiers de Rhizome n°83 « Contribuer à la santé mentale » et Cahiers de Rhizome n°88-89 « Faire savoir l’expérience », entre autres), et alors que la santé mentale est une nouvelle fois mise à l’agenda politique en tant que « grande cause nationale » de l’année 2025 (Battaglia & Stromboni, 2024), il s’agira, dans cet ouvrage, de questionner l’effectivité de la prise en compte et de la prise en charge des problématiques de santé mentale dans le secteur de l’intervention sociale, en rendant compte de ce que fait faire la santé mentale au travail social et aux travailleurs sociaux. Ces derniers se retrouvent confrontés à un public vulnérable, en souffrance, dont ils doivent « prendre soin » du mieux qu’ils peuvent et « soutenir » au quotidien en inventant, expérimentant et repensant leurs manières de faire et d’accompagner (Einhorn, Tremblay & Zeroug-Vial, 2019).
Pour ce nouvel ouvrage des Presses de Rhizome, les propositions de contributions peuvent s’inscrire dans l’un (ou plusieurs) des axes suivants :
Axe 1 : Par-delà les troubles : quelles reconfigurations de l’accompagnement en santé mentale ?
Ce premier axe cherche à questionner les façons de dire et façons de faire des professionnels en investiguant, dans un premier temps, le concept même de santé mentale et ce à quoi il renvoie. Il s’agira de faire un état des lieux théorique et pratique de la manière dont la santé mentale est appréhendée, produite, mise en œuvre et définie : qu’est-ce que la santé mentale ? Comment peut-on la définir ? Comment ce concept de santé mentale a-t-il évolué au fil du temps (Bellahsen, 2014), au regard des transformations de la clinique elle-même (Ravon, 2020) ? Qu’est-ce que cela change de penser en termes de santé mentale, en particulier pour le travail social ?
Nous partirons du principe que cette approche par la santé mentale entend « désanitariser le soin » (Auvigne, Chambon & Remy, 2024). Les contributions adossées à cet axe pourront donc présenter certains troubles mais, en ne s’attachant pas à une description purement médicale de ces derniers et de leurs caractéristiques neuro-bio-psycho-développementales ou cliniques. A cet effet, les travaux autour du care pourront être mobilisés, ces derniers donnant la possibilité de penser la question de l’extension de la santé mentale en dehors des champs purement sanitaires. Plutôt que d’être dans une conception individuelle et biomédicale, sera préférée une approche environnementale et sociale (Winance, 2024), attentive à la « dimension sociale du trouble » (Chambon, 2017), au vécu et aux expériences qui y sont associées : comment vit-on une expérience psychotique (Chambon, Charvolin & Pommier, 2024 ; Charvolin, 2024 ; Bechla, 2023) ; qu’est-ce qu’entendre des voix (May & Hayes, 2012 ; Denis et al., 2023) ? Comment restituer ces expériences singulières et leurs dimensions plurielles ? Comment, à partir de ces expériences, peut-on (re)penser l’accompagnement des personnes ?
Car, la santé mentale est également un opérateur de changement et de transformation des pratiques. Il s’agira donc, dans un dernier temps, au travers de ce premier axe, d’appréhender comment cette approche en matière de santé mentale peut faciliter et favoriser une forme de déstigmatisation des personnes concernées et l’émergence d’un « nouvel esprit du soin », qui « déplace l’accent de la pathologie à combattre (du déficit à compenser) au potentiel à augmenter » (Ehrenberg, 2022 : 16), au sein du travail social. Comment les travailleurs sociaux se saisissent de cette nouvelle approche capacitaire et s’y convertissent (Seguin, 2023) ? Comment accompagne-t-on en ayant une approche en termes de réduction des risques et des dommages (Tissot, 2022), de rétablissement (Chambon, Picolet & Sorba, 2020), de développement du pouvoir d’agir, d’empowerment ? Qu’est-ce que cela implique et suppose en pratique ? Il est intéressant de noter que ces approches sont autant de déclinaisons qui peuvent s’articuler dans les mots d’ordre contemporains – comme c’est le cas par exemple des injonctions au « bien-être » véhiculées par le « développement personnel » qui sous-tendent qu’ « aucune situation n’est totalement déterminée » et que, « face à un problème ou à une situation déplaisante, c’est à l’individu qu’il revient de mettre la main à la pâte pour que quelque chose change, car il en a toujours, même s’il ne le sait pas encore, la possibilité » (Marquis, 2016 : 57) – et qui ont également leur propre histoire et leur propre circulation en France, dont il pourra être intéressant de rendre compte.
Axe 2 : Réflexion sur les multiples visages de la santé mentale
La santé mentale ne concerne plus uniquement les soignants (psychiatres, psychologues, infirmiers) et le secteur psychiatrique. Nous assistons, depuis 1945, à une « expansion » (Henckes, 2015 : 19) et à une « extension du champ de la santé mentale » (Ravon, Picolet & Chambon, 2022). Cette dernière concerne de plus en plus d’acteurs – elle « est devenue le terrain d’un nombre incroyable de professionnels, chercheurs, activistes, agissant parfois de concert, parfois en conflit » (Henckes, 2015 : 21) – parmi lesquels les travailleurs sociaux. La question du soutien des travailleurs sociaux à la santé mentale n’est donc pas nouvelle. Elle commence à se nommer ainsi à la fin des années 1990, dans un contexte de délitement de l’État social. Avec la vulnérabilité de masse, la question de la souffrance sociale s’étend, au carrefour de la « lutte contre les exclusions » et de la préoccupation pour la « souffrance psychique » (Ion et al., 2005). Atteinte à la santé psychique et détérioration du social se conjuguent pour inviter les professionnels à donner une plus grande place au travail relationnel d’accompagnement (Fassin, 2006).
Aujourd’hui, et alors que l’accent est mis sur l’inclusion des personnes en situation de handicap ou vivant avec une maladie, qu’est-ce qui a changé ? Les pratiques de santé mentale ont-elles évolué chez les travailleurs sociaux ? Peut-on parler d’innovations sociales ? Par quels biais cet intérêt et ce souci quotidien d’autrui se donne-t-il à voir ? Comment les intervenants accompagnent-ils la souffrance d’autrui ? Comment repensent-ils le cadre de leurs pratiques d’accompagnement (travail sur les règlements, sur les orientations, la participation et l’autodétermination des personnes, la question de l’adhésion aux soins, le partage d’informations, la possible « redistribution des rôles, des places et des pouvoirs autour d’une personne disqualifiée ou disqualifiable » (Béliard et al., 2015 : 11), …) ?
Les contributions pourront s’intéresser aux professionnels et autres acteurs non identifiés comme travailleurs sociaux mais qui, pour autant, font partie de la chaîne d’intervention en santé mentale, « qui viennent d’horizons diversifiés et [qui] s’engagent dans des missions guidées par des objectifs préventifs, curatifs ou inclusifs [et qui] restent, pour beaucoup, relativement méconnus » (Bonnet, 2023 : 3). Il s’agira donc de s’intéresser à ces nouveaux métiers de la relation que sont par exemple les animateurs de groupe d’entraide mutuelle (GEM) (Le Callonnec, 2022), les art-thérapeutes, les sophrologues mais aussi les interprètes (Piccoli, Traverso & Chambon, 2023) et, bien évidemment, les travailleurs pairs, médiateurs de santé pairs (Niard, Maugiron & Franck, 2020 ; Linder, 2020) et nouveaux « pair-aidants familiaux » (Paquentin, De Boulay, 2023) ; acteurs avec lesquels les travailleurs sociaux sont amenés à travailler au quotidien et auprès desquels ils peuvent à la fois trouver supports et ressources pour leur propre pratique et vers lesquels ils peuvent orienter les personnes qu’ils accompagnent. Il s’agira également de s’intéresser à la place des familles, des proches, des voisins et bénévoles dans ce soutien. Dans quelle mesure sont-ils des alliés pour les travailleurs sociaux ? Comment inclure ces proches aidants ?
Il sera également possible de présenter et de discuter des dispositifs concrets, manière de rendre compte de la disparité et de la multiplicité des réponses aujourd’hui apportées en termes de santé mentale. Suivre la spécificité de tel public, de telle réponse ou de tel interlocuteur permettra ainsi aux lecteurs d’entrer un peu plus dans la « boite noire » des prises en charge et d’avoir une image plus lisible de l’offre de soins en santé mentale. Par exemple, quel est le quotidien d’une permanence d’accès aux soins de santé (PASS) ? D’une équipe mobile psychiatrie précarité (EMPP) ? D’un centre régional du psycho-traumatisme (CRP) ? D’un lieu de répit ? Comment les dispositifs d’accompagnement prennent-ils en compte cette question du soutien en santé mentale ? Quelles formes ce soutien prend-t-il dans un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), un centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA), une pension de famille, un accueil de jour, une maison d’enfants à caractère social (MECS), … ? Comment les assistantes sociales de secteur, les mandataires judiciaires à la protection des majeurs, les référentes de l’aide sociale à l’enfance (ASE), les éducateurs (en foyer, en milieu ouvert, en prévention…), les référents France Travail, les professionnels des missions locales, … travaillent cette question de la santé mentale et quelles sont leurs marges de manœuvre ?
Axe 3 : Épreuves pratiques et arrangements éthiques
Les travailleurs sociaux sont de plus en plus amenés à diversifier leurs missions, à répondre à de nouvelles injonctions – souvent contradictoires – et défis sociaux (Jaeger, 2020 : 51), parmi lesquels les questions de santé mentale. Ils accompagnent des personnes qui leur semblent être de plus en plus vulnérables et en souffrance, du fait du manque d’aide notamment. Les citoyens eux-mêmes commencent à se former en tant que « secouristes » sur ces questions via la formation Premiers secours en santé mentale (PSSM). Tous sont démunis et plus ou moins en difficulté face à la délégation progressive et partielle d’une mission d’abord assurée par le monde du soin. Les travailleurs sociaux sont, par exemple, nombreux, lors des formations Prisme que l’Observatoire porte, à dire aux formateurs : « moi, je ne suis pas psy », « je ne sais pas quoi faire, comment faire, quoi dire dans ce type de situation », « on n’est pas formés », « les personnes nous déposent un certain nombre de choses et après, on ne sait pas quoi faire pour les aider, quoi faire de ces paroles », ne pas savoir comment s’y prendre, comment aider les personnes, vers où les orienter, …
Pour les travailleurs sociaux, amenés à orienter de plus en plus les personnes qu’ils accompagnent vers le soin, un certain nombre de questions se posent : qui ? vers où ? Vers qui ? Comment orienter et faire adhérer les personnes au soin ? Quand est-il « légitime » d’intervenir ou non (Marques, 2018 : 14), d’emmener ou non la personne aux urgences psychiatriques par exemple (Marquis & Pesesse, 2021), de décider ou non pour autrui (Moreau & Laval, 2015 ; Marques, 2015), de le contraindre, de le menacer et de faire pression sur lui pour qu’il accepte de se soigner (Moreau & Marques, 2020) ? Comment aider une personne qui refuse les soins ? Quelle place donner à la personne ? Jusqu’où assurer l’injonction au soin vis-à-vis des personnes qui leur est parfois faite (Vidal-Naquet, 2013), qu’elle soit judiciaire ou non ?
Les « professionnels [du social] sont amenés à prendre [les personnes en souffrance psychique] plus ou moins directement en charge, soit seuls, soit en coopération avec des agents du secteur sanitaire » (Ibid. : 12). Ce décloisonnement du sanitaire et du social, qui pourrait d’ailleurs être réinterrogé – jusqu’où se produit-il ? A-t-il des espaces privilégiés ? – entraîne « une modification et éventuellement une redistribution des « professionnalités » c’est-à-dire des manières de faire aussi bien dans les différentes professions du social que dans celles du médical » (Ravon et al., 2008 : 12). Au-delà de ces questions d’orientation et de coordination entre les secteurs sanitaires et sociaux (Jaeger, 2012) et in fine, du dialogue et de l’articulation plus ou moins simple selon les territoires entre ces deux corps de métiers, il s’agit aussi de comprendre comment cet accompagnement autour de la santé mentale est pensé en milieu rural, dans un désert médical ou, pour être plus précis, dans les territoires de pénurie d’aide et de soin : quels bricolages, arrangements, contournements sont mis en œuvre par les professionnels pour faire au mieux ? Comment font-ils face à la pénurie, au manque de places, à la saturation des dispositifs, au manque de soignants ? Comment accompagner quand il n’y a pas de psychiatre ou de psychologue vers qui orienter ? Quand il n’y a pas de médecins généralistes ? Certaines contributions pourront, par exemple, évoquer le rôle et l’importance des infirmières en pratique avancée (IPA).
Nous avons rappelé dans l’axe 1 que la santé mentale invite à des transformations importantes des pratiques. Ces évolutions sont sources de tensions et d’embarras, notamment éthiques (Vernede, 2020 ; Sensonnens, 2022). Les contributions de ce troisième axe viendront interroger ces dilemmes éthiques, en en donnant des exemples concrets. Il s’agira également de se questionner sur les injonctions contradictoires auxquelles sont confrontés les travailleurs sociaux, sur l’écart grandissant et croissant entre le travail social prescrit et le travail social réel (Ravon & Vidal-Naquet, 2018). Comment (re)donner du sens (Collectif Métis, 2019) aux pratiques professionnelles ? Quelles reconfigurations de ces dernières envisager ? Qu’est-ce qui peut soutenir la santé mentale des professionnels d’un point de vue individuel et collectif ? Les contributions pourront également aborder la santé mentale des travailleur sociaux eux-mêmes, fortement exposés aux risques psycho-sociaux (burn-out, fatigue relationnelle, traumatisme vicariant).
Il pourra également être question dans cet axe de l’importance des instances de réflexion collective, de supervision et d’analyse de la pratique, ces lieux de reprise de l’expérience qui permettent de « mutualiser le trouble » (Ravon, 2016 ; Grand, 2023). D’autres contributions pourront, quant à elles, aborder la question de l’étayage des pratiques en abordant le sujet de la formation : pourquoi et comment former les professionnels à ces questions ? Quelles sont les formations existantes ? Qui sont les formateurs ? Quelle légitimité à former sur ces questions de santé mentale ? Les formateurs aux premiers secours en santé mentale ou ceux intervenant dans le cadre de la formation Prisme « Précarité et santé mentale » pourront proposer une analyse étayée à partir de leurs pratiques.
Modalités de soumission
Cet appel à contributions s’adresse aux chercheurs et chercheuses (en sociologie, anthropologie, sciences politiques, psychologie, psychiatrie, médecine, …), aux formateurs en santé mentale (intervenant notamment dans le cadre de la formation Prisme – Précarité et santé mentale), aux professionnels de l’intervention sociale et aux personnes directement concernées par les objets d’interventions cités dans cet appel (santé mentale, intervention sociale, …).
Les propositions sont à envoyer pour le lundi 24 mars 2025 Elles devront comprendre les nom, prénom et statut du ou des auteurs, un titre provisoire et un résumé indiquant le ou les axes thématiques privilégiés de l’appel à contributions, la problématique envisagée, le terrain et les méthodes mobilisées (3 000 caractères, une page). L’écrit finalisé devra être envoyé avant le lundi 23 juin 2025 et faire entre 10 000 et 30 000 signes, espaces compris. Les communications écrites devront présenter un caractère inédit et ne devront pas avoir été publiées sur papier ou en ligne.
Les propositions doivent être envoyées à Aziliz Le Callonnec, en mettant également en copie l’adresse générique de l’Orspere-Samdarra. Vous pouvez la contacter pour plus de précisions.